Wholesale Banking

La convergence des enjeux de transition, une responsabilité historique pour le secteur bancaire

3 juillet 2025

Temps de lecture: 5 min

Par Véronique Gratiot, ING - Head of Sectors*

Le rôle des banques européennes devient central. Bien au-delà du financement, elles doivent devenir de véritables partenaires des transformations structurelles, capables d’accompagner la transition écologique, la digitalisation et le renforcement des capacités stratégiques. Faire de la banque un levier de puissance économique devient une nécessité pour garantir la résilience et la souveraineté du continent.

Les entreprises ont toujours été confrontées à des défis sectoriels spécifiques, qu'ils soient structurels ou conjoncturels, comme la baisse du prix du pétrole pour les opérateurs énergétiques ou encore l'essoufflement de la demande pour les acteurs du luxe. Mais à ces cycles traditionnels s'ajoutent aujourd'hui deux mutations qui redéfinissent l'économie mondiale et appellent à une recomposition des équilibres.

D'une part, la transformation de l'économie favorise la convergence entre des secteurs auparavant autonomes. L'essor de l'IA, dont le marché mondial devrait dépasser les 1 000 milliards de dollars d'ici 2030 (source PwC), accroît par exemple les besoins en infrastructures digitales de type datacenters, responsables à eux seuls de 2,5 % de la consommation électrique européenne en 2022 (Commission européenne) et démultiplie d'autant la demande en énergie, accélérant le rapprochement entre les secteurs des télécommunications et des technologies d'une part, et de l'immobilier et l'énergie d'autre part. À titre d'exemple, Orange prévoit une hausse de 30 % de ses capacités de calcul d'ici 2027, entraînant des partenariats renforcés avec le secteur énergétique. Cette convergence exige des solutions financières complexes, à la croisée de plusieurs expertises métier.

D'autre part, un nombre croissant d'enjeux traverse les secteurs de façon transversale. Outre la transition écologique, qui mobilisera plus de 620 milliards d'euros d'investissement annuels en Europe jusqu'en 2030 (BEI, 2023), et la digitalisation, un nouveau moteur de transformation puissant touche indistinctement tous les secteurs. C'est celui de la souveraineté européenne, dont l'urgence appelle à repenser l'ensemble des chaînes de valeur. Cet enjeu concerne l'énergie, la santé, les technologies critiques et bien sûr la défense. La dépendance européenne à l'égard des semi-conducteurs, révélée en 2020, a notamment poussé la Commission à lancer un European Chips Act à 43 milliards d'euros. Ces transformations appellent un accompagnement massif, coordonné, et donc bancaire.

La concomitance de ces sujets de transformation intensifie les besoins en capital de façon inédite et renforce le rôle socio-économique des secteurs bancaires et financiers.

À la convergence de ces mutations doit répondre une organisation matricielle faisant cohabiter des spécialisations sectorielles et des expertises transversales pointues dédiées aux grandes transitions. Les transformations à financer doivent par ailleurs être réalistes. Elles nécessitent ainsi un accompagnement des entreprises sur un mode partenarial proche du terrain. La dernière injonction en date est de redresser au pied levé un secteur de la défense historiquement sous-capitalisé tout en réaffirmant ses engagements en matière de développement durable (la paix et la démocratie étant considérées comme un bien commun à protéger). La banque ne peut donc plus être un simple financeur : elle devient un partenaire important de la résilience économique. À ce titre, elle doit être capable d'accompagner les entreprises avec des produits flexibles, des outils de financement durable, mais aussi des solutions de long terme. Aujourd'hui près de 75 % des entreprises européennes estiment manquer de soutien bancaire dans leurs projets de transformation (CEPS, 2024). Charge aux opérateurs bancaires d'être plus encore au rendez-vous des besoins des acteurs économiques.

Ces transformations à l'œuvre renforcent le poids des banques européennes, seules à même d'accompagner ces mutations. Elles seules disposent de la proximité, de la connaissance du tissu économique et des capacités réglementaires pour opérer à l'échelle requise. Leur rôle dépasse la simple intermédiation : elles sont un vecteur central de souveraineté. À ce titre, il convient d'affirmer une ambition collective : faire de la banque un levier de puissance économique pour l'Europe, à l'image de ce que fait la Chine avec ses grandes institutions publiques, ou les États-Unis via leurs fonds d'innovation (CHIPS and Science Act ou le Small Business Innovation Research Pogram pour financer l'innovation technologique et industrielle à grande échelle). La souveraineté européenne, pour être effective et durable, doit avant tout être bancaire.

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 (*) Véronique Gratiot a 25 ans d'expérience en Banque d'Investissement et Corporate Banking en Europe, incluant la Finance Structurée (Finance d'Entreprise, Leverage Buy Out, Finance d'Acquisition) et les Marchés Mondiaux.